Psyché

Que veut dire le mot « Psyché » ?

Dans la mythologie c’est un nom propre. Dans le langage courant c’est un papillon, un miroir, c’est l’âme, c’est l’esprit. Psychique nous disent les dictionnaires c’est ce qui se rapporte à l’esprit et non pas à l’inconscient.

Le mot psychopathologie a été construit sur psittacisme, dérivé de psittacus, perroquet, pour désigner à l’origine un trouble du langage.

Bien qu’ il y ait en grec beaucoup de nom pour désigner le souffle vital comme anémos, le vent, d’où vient notre mot « âme » ; dianoia, l’énergie ; thumos, l’âme-sang, l’humeur, la colère, l’intelligence ; pneuma, le souffle; éther, l’air ; eidolon, l’ombre ; phrenes, le diaphragme, siège de la pensée ; aisthèsis, la sensibilité ; ainsi que beaucoup d’autres termes encore ; les latins ont tout condensé sous le terme de psyché puis ils ont assimilé psyché à l’esprit considérant que l’esprit était la « force vitale » essentielle.

Donc, en bref, la tradition philosophique et la tradition théologique affirment toujours l’équation âme = esprit. C’est notre culture. On ne peut y revenir.

Cependant lorsque nous traduisons Psyché par âme nous nous trouvons devant la difficulté suivante : s’agit-il de l’âme en tant que corps, en tant qu’esprit ou s’agit-il de l’inconscient ?

Pour vaincre cette difficulté je propose, à la lumière du nœud borroméen, de conserver le mot âme pour les philosophes et les théologiens, pour tout ce qui relève de la conscience réfléchie dans son approche matérielle ou spirituelle et de garder le mot Psyché pour désigner l’inconscient.

Psyché ou l’inconscient est un discours. Qu’est-ce qu’un discours ? Le mot discours vient de discurere, courir en tous sens, courir ça et là. Discours est un autre nom du devenir. Psyché est un discours qui échappe totalement à la conscience réfléchie bien qu’aucune conscience ne lui échappe, ni celle du corps ni celle de l’esprit.

Héraclite disait : « Psyché est un discours », un discours qui s’accroît de lui-même (frag.10), c’est-à-dire qui se nourrit de lui-même indépendamment du corps et de l’esprit.

Ce n’est qu’à partir de Freud et de Lacan qu’on peut entendre les propositions d’Héraclite sans faire de contresens, c’est-à-dire croire erronément qu’Héraclite nous parle de l’esprit.

Psychanalyse et Mythologie par Guy Massat


Nous connaissons la réponse à nos conflits psychiques, c’est l’Œdipe et le narcissisme.
Nous avons la réponse et nous ne savons pas comment y parvenir.

Cependant la méthode pour y arriver est la méthode psychanalytique de l’association libre qui est le langage de l’inconscient. Avec l’inconscient « je » est « un autre », je ne suis pas ce que je suis, les choses ne sont pas ce qu’elles sont et les mots ne disent pas ce qu’ils disent. Nous sommes dans la dimension du devenir et des métamorphoses.
Cette dimension est un langage impossible à saisir comme totalité. Pourtant dans cette dimension les changements de formes et de mots peuvent se coller entre eux pour former des nœuds apparemment indénouables qui se manifestent à nous par des symptômes, par des souffrances et nous laissent abandonnés dans l’inter-dit.

Parménide, Platon, Plotin, Plutarque, rejetaient ce chaos, cet abîme politiquement incorrect « pays des monstres et des tragédies, habité par les poètes et les mythographes où on ne rencontre ni preuve ni certitude ».
Tous les jardins de notre culture, ont fermé leur porte à l’inconscient. Il n’y a que les psychanalystes, ceux qui pratiquent la psychanalyse (car tous ne la pratiquent pas), qui osent s’aventurer derrière la porte de l’absurdité, de la folie et de la mort. Car dans l’inconscient on peut mourir un nombre incalculable de fois. Ce qui n’est guère compréhensible pour les gens cultivés, sérieux, informés, responsables qui ne parlent pas ce langage, sinon pour le réorienter, le réformer, l’éclairer selon la psychologie du clergé qui surveille tout manquement à la pensée correcte.
Le langage inconscient, disent-ils, ne tient pas le coup, ce sont de simples bulles éphémères, des boursouflures virtuelles, des inutilités creuses, des mots vides, des dérapages, des torsions, des associations trafiquées et empoisonnées à l’arsenic. Il n’y a d’avenir que pour conscient. Tout ce qui est inconscient doit s’y soumettre.


Qu’est-ce donc que le langage inconscient ? C’est un langage où les sons qui composent les mots sont plus importants, plus décisifs, plus riches plus constitutifs que ce que les mots signifient, que le sens dont ils sont conventionnellement porteurs. Le langage inconscient n’a aucun rapport avec le sens des mots mais seulement avec les sons dont ils sont composés. C’est une entreprise insaisissable de décomposition poétique de la langue. Mais qui pourrait protester aujourd’hui ?
Même les mathématiciens ont démontré l’incomplétude du système formel dans lequel ils s’expriment. Ce langage déchire le lien conventionnel associant le signifiant au signifié.
La langue ordinaire ou savante donne le signifié comme prééminent. Vous connaissez la formule fondamentale du linguiste Saussure s (le signifié) sur S (le signifiant).Lacan va inverser cette formule pour privilégier le signifiant (la sonorité du mot) sur le signifié, (le sens dont il est conventionnellement porteur).
Le discours de l’inconscient c’est le discours de l’Autre, de l’autre dimension de la langue, de l’Autre qu’on ne peut jamais personnaliser de manière définitive. Son caractère d’impermanence marque l’impossibilité de saisir ce langage comme une totalité fermée.

Qu’est-ce que le signifiant ? Pour bien comprendre autorisons-nous à jouer sur les sonorités du mot signifiant qui vont interrompre de manière indécente, sa signification courante.
Le signi-fiant dit quelque part qu’on peut se fier (fiant, en train de se fier) au cygne (signe). Le cygne est un oiseau qui meurt en chantant et qui chante en mourant. Quand sur l’île flottante de Délos naquirent les dieux de la poésie, les jumeaux Apollon et Artémis, des cygnes firent sept fois le tour de leur île.
Comme dit Lacan : « le signifiant ne se maintient que dans un déplacement circulaire » ( E. p.29). Quand Zeus voulut séduire Léda il se transforma en cygne. Comme dit Lacan : « Le signifiant existe en dehors de toute signification » ( E.p.498).« Les unités signifiantes, ce sont les phonèmes ( E.p.501).Phonème vient du radical grec phoné « son de la voix », « cri des animaux ». C’est la plus petite unité du langage parlé, l’unité signifiante, qui, avec d’autres et selon leur position, vont constituer les mots et les distinguer. Il y a des phonèmes consonantiques et vocaliques. Le phonème peut-être oral, nasal, sourd, sonore. Le français comporte 36 phonèmes, 16 voyelles et 20 consonnes. Un phonème peut être composé d’une voyelle et d’une consonne (histoire de AT).

Dans toutes les langues du monde il y a un lien conventionnel entre le signifiant, le son, et le signifié, le sens. Par exemple le son vache en français a le même sens que le son vaca en espagnol ou que le son cow en anglais etc... Dans toutes les langues des sons changent pour des signifiés identiques. Toutes les combinaisons de sons et de sens dans les langues sont nouées à leur référent. Par exemple, les sons « vache, vaca, cow » sont des signifiants différents qui ont le même signifié se rapportant à un troisième élément, le référent, c’est-à-dire ici le même animal cornu et qui donne du lait. Tel est en résumé le fonctionnement des langues.

La mythologie est l’étude des histoires fabuleuses, dit-on. Le grec muthos signifie parole et le mot logos signifie aussi parole. Muthos - logos, c’est donc la parole dans la parole. La parole qui délivre de la parole qui enferme ou inversement. L’autre parole qui dans la parole ouvre sur d’autres dimensions c’est ce qui caractérise le discours inconscient. Nous avons abordé la dernière fois cette définition de l’inconscient qui traîne dans tous les dictionnaires : l’inconscient est ce qui échappe totalement à la conscience. Mais nous l’acceptons en changeant sa valeur négative en valeur positive, en inversant son impuissance en puissance, sa pauvreté en richesse.
Qu’est-ce que la conscience ? Il s’agit de la conscience réfléchie, la conscience qui se réfléchie elle-même, qui s’enferme elle-même dans son propre système.


Pour les philosophes et les théologiens seul importe la bulle de l’esprit conscient de lui-même. Pourtant il n’y a pas de conscience qui ne soit traversée par l’inconscient. Si l’inconscient échappe à la conscience en revanche aucune conscience n’échappe à l’inconscient puisque toute conscience est soumise à des bévues. L’inconscient, en allemand unbewusste, Lacan le traduit par « une bévue ». La bévue qui domine toute conscience d’une manière ou d’une autre. L’inconscient produit donc des « tourbillons d’horreur et d’hilarité » à vertu thérapeutique.

Par exemple un analysant particulièrement résistant à l’association libre me disait : « Non je n’ai pas rêvé. Je n’ai qu’une bribe de rêve à vous proposer : je voyais un fauteuil qui volait dans les airs ».Jouant sur les phonèmes je n’entend pas fauteuil, mais « faux œil ». Je lui dis alors : « Y a-t-il un borgne dans votre famille ? » Il me répond : Ma femme est borgne, elle a perdu un œil dans un accident lorsqu’elle était enfant. Je demande : Voler dans les airs ne serait-ce pas comme on dit vulgairement s’envoyer en l’air ? Silence. Puis l’analysant me dit : je ne l’ai jamais raconté à personne, même ici, mais je suis torturé par la jalousie, j’ai toujours peur que ma femme me trompe. Surpris de son propre aveu. L’analysant poursuit sur le rôle de la jalousie dans son existence. Mais comment ai-je entendu « faux œil » plutôt que fauteuil ? Je n’en sais rien. Tel est le « savoir du psychanalyste ». Il ne sait pas.


Comme dit Lacan à la fin de ses « Ecrits » : Un coup de dé dans le signifiant n’abolira jamais le hasard » (p.892).En effet, J’aurais pu entendre « faux deuil » ou « faux seuil », ou ne m’intéresser qu’à la notion de faux, en tant que contraire à la vérité, ou de faux, l’instrument tranchant pour couper l’herbe, ou de l’impératif « il faut » du grand dragon surmoïque sur toutes les écailles duquel était écrit « Tu dois », nous raconte Nietzsche etc.. ou encore à l’anecdote qui circule dans les milieux psychanalytiques concernant Jacques Alain Miller. Il avait raconté un rêve à son analyste Charles Melman : « Je me suis assis dans le fauteuil de Lacan » D’où il concluait que sa cure était terminée. Ce à quoi Melman protestait comme une « faute d’œil » qui lui permettait d’estimer que cet analysant n’avait pas terminé son analyse. Mais ce n’était pas l’avis de Miller. Comme dit Lacan : « aucun hasard n’existe qu’en une détermination de langage » (E. p.892)La possibilité infinie du jeu des substitutions de mots et de sens explique la fonction créatrice du langage. Il s’agit de faire parler les mots, de leur faire dire ce qu’ils ne disent pas.

On comprend mieux pourquoi Antiphon de Corinthe disait pouvoir tout guérir par la parole et l’interprétation des rêves, quatre siècles avant notre ère. Le mot est ce qui paraît, comme Aphrodite déesse de la Beauté. Le sens c’est Psyché, toujours dissimulé et Eros ce qui les unit et les exprime.